La question géopolitique de l’énergie en Egypte, Libye et Syrie


par Laurent Horvath et Jeff Rubin pour Watts2000

Le pétrole est une arme redoutable. Il peut parfois être un atout de poids ou être une malédiction. La Syrie et surtout la Libye sont en train d’en faire l’expérience. Avec 1,8 million de barils par jour, le colonel Mouammar Kadhafi tenait en respect les Européens (Italie, Grande-Bretagne, Italie, Espagne). De nouvelles perspectives pour les pétroliers ont encouragé des actions militaires qui ont fait chavirer le dictateur.

En perdant le contrôle des derniers réservoirs d’essence, le colonel Mouammar Kadhafi a vu tomber en panne ses véhicules militaires. Tant la capitale Tripoli et son règne se sont évaporés. En théorie, les gagnants de cette révolution pourraient être le Français Total et à l’Italien ENI. Mais la Chine reste en embuscade.

Du côté de la Syrie, les habiles américains font pressions sur les Européens pour étudier un plan pour réduire le tiers des revenus de la Syrie avec un embargo sur le pétrole du Président Bachar al-Assad.

Lybie: 1,8 million de baril de pétrole d’excellente qualité

La transition commence immédiatement pour construire une Libye nouvelle, a annoncé mardi soir le numéro deux de la rébellion, Mahmoud Jibril, alors que les rebelles ont pris à Tripoli le contrôle du QG de Mouammar Kadhafi qui reste introuvable.

Les bourses se félicitent de cette nouvelles et ont poussé à la hausse les actions de Total et de ENI qui devraient pouvoir se partager le pétrole de Libye. Mais tout n’est peut être pas aussi facile que prévu.

Tout d’abord, les puits de pétrole arrêtés depuis de longs mois ne vont pas tous pouvoir être remis en état de marche. Certains puits, une fois arrêté, ne repartent jamais. De plus, les nombreuses ethnies qui morcellent la Libye vont certainement vouloir bénéficier des pétrodollars qui leur ont si souvent échappé. Après sa révolution, l’Iran n’a jamais retrouvé ses capacités de pompage lors du règne du Shah Mohammad Reza Pahlavi. Après la chute de Saddam Hussein, l’Irak n’a pas encore trouvé son rythme de croisière et les capacités du dictateur déchu.

Il en ira de même pour la Libye. Les 1,8 millions de barils par jour ne sont peut-être plus qu’une illusion.

Finalement, c’est peut être la Chine qui a construit des écoles, des routes et des habitations qui pourrait avoir les primeurs des nouveaux dirigeants dans un pays où la corruption est un art de vivre. La Chine a d’autant les coudées franches que la Libye n’intéresse pas vraiment les USA. La chasse est ainsi ouverte entre BP, Shell, Total, ENI et la Chine.

Syrie: les Américains veulent pousser les Européens à la faute

La semaine dernière le Président Obama avait annoncé que les USA allaient mettre en place un embargo sur le pétrole syrien qui procure 33% des revenus de ce pays. L’idée vendue aux médias et à l’opinion publique consiste à faire pression sur les revenus de la Syrie pour étouffer financièrement le gouvernement en place. Cette idée est séduisante, mais elle cache l’envie d’Exxon Mobil et les compagnies américaines d’entrer dans ce pays qui leur est presque entièrement fermé.

L’action était symbolique car les USA ne consomme que 5% de ce pétrole et les 95% restant part pour l’Europe. Dans les coulisses et entre les lignes, il faut lire que les USA demandent aux pétroliers européens de se fâcher avec la Syrie pour créer une brèche et peut être une nouvelle opportunité pour son propre service. A 18 mois de l’élection présidentielle américaine, le Président Obama aura également besoin des dollars des compagnies pétrolières. Autant leur faire plaisir tout de suite.

Actuellement l’Europe réfléchit. Le temps que les 27 soient d’accord, de l’eau, beaucoup d’eau, va encore couler sous les ponts. La décision est délicate et le coup de maître joué par les USA brillant.

Le pétrole est une arme redoutable. Avec les difficultés actuelles à pomper autant de pétrole qu’exige la demande, nous en voyons de plus en plus les résultats. Passionnant, n’est-ce pas ?

Pour l’instant, ne comptez pas encore sur le pétrole libyen

Avec l’effondrement soudain du régime de Kadhafi à Tripoli, l’industrie pétrolière espère réparer assez de terminaux, de stations de pompage et de canalisations afin de produire au moins un million de barils par jour de pétrole libyen dans les 6 à 12 prochains mois.

Mais comme je l’avais déjà écrit précédemment dans ce blog, un changement de régime au Moyen-Orient a rarement aidé à produire plus d’énergie.

Suite au Printemps Arabe, pour prendre un exemple récent, il suffit de demander aux Israéliens où aux Jordaniens quant à leur approvisionnement en gaz naturel. Israël et la Jordanie avaient l’habitude d’obtenir de l’Egypte respectivement 40% et 80% de leur gaz naturel via un pipeline qui relie El-Arish, en Egypte, à Ashkelon, en Israël, et se termine en Jordanie. Ce fut le cas jusqu’à ce que l’homme fort égyptien Hosni Moubarak soit renversé. Il n’a pas fallu bien longtemps avant que le pipeline et des stations de pompage soient maintes fois détruits, ce qui aurait été impensable sous le régime de Moubarak.

Inutile de dire que le pipeline, qui a ouvert en 2008 suite à un accord de 20 ans avec l’Egypte et signé en 2005 pour alimenter Israël en gaz naturel, n’est pas exactement vu d’un bon œil par la rue arabe. Des rumeurs circulent sur les gains secrets réalisés par la famille Moubarak avec cet accord.

Dans l’Egypte de Moubarak, ce n’était pas important si la grande majorité des Egyptiens étaient opposés à la vente de gaz naturel à Israël, pas plus que d’autres sujets d’importance d’ailleurs.

Mais la rupture d’approvisionnement peut avoir des conséquences imprévues. D’une part, elle stimule Israël, qui a toujours manqué de ressources en hydrocarbures propres, afin de développer le plus rapidement possible son champ géant de gaz naturel, le Léviathan, ainsi que d’autres champs de gaz récemment découverts dans la Méditerranée. Ainsi, la grande gagnante est l’industrie de l’énergie israélienne.

L’impact sur la Jordanie, un voisin arabe et allié historique, peut-être encore plus problématique pour l’Egypte. La perte d’approvisionnement en gaz naturel égyptien peut conduire la Jordanie dans les bras patient de l’Iran, qui a offert de façon opportuniste, de remplacer l’Egypte en tant que fournisseur du pays en gaz naturel. Comme c’est le cas ailleurs dans le monde, les liens énergétiques en général créent des liens politiques. Ici le grand gagnant, à la fois commercialement et politiquement, sera l’Iran.

Les Egyptiens, bien sûr, ont le droit de vendre leur gaz naturel à qui ils veulent.

Les consommateurs de pétrole occidentaux pourraient vouloir considérer ce qui s’est passé avec le gaz naturel égyptien de l’après-Moubarak avant de compter sur le million de barils par jour de la Libye.

Donner aux citoyens leur un mot à dire dans la gestion des hydrocarbures de leur pays ne signifie pas qu’ils choisiront nécessairement de vous exporter plus de leur carburant.

Laurent Horvath et Jeff Rubin

À lire/voir également sur la Libye, la Syrie et l’Egypte :

Guerre de Libye : L’histoire se répète, comme les erreurs commises en Irak

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Sources : Watts2000

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