Entre décadence et destruction, notre civilisation va devoir choisir


par Caleb Irri pour les pensées doubles de Caleb

La plus grande erreur des civilisations qui nous ont précédé fut de se croire, à l’apogée de chacune d’elles, au sommet de la perfection, persuadées qu’elles étaient de leur infaillibilité. C’est pourtant cette période que l’Histoire considèrera toujours (a posteriori) comme le début de leur décadence ; période dans laquelle il semblerait que notre civilisation soit rentrée.

« C'est le fonctionnement d'un système tout entier qui se trouve remis en cause par notre inconscience collective, comme dans la légende pourtant évocatrice et prédictive du mythe de l'Atlantide : en se croyant supérieur à la nature, en se proclamant démiurge omnipotent, l'Homme a abandonné depuis trop longtemps l'humilité à laquelle aurait dû le contraindre l'Histoire des civilisations passées. Et tout cela au nom de quoi ? »

A l’instant où j’écris ces lignes, les images d’une explosion dans une centrale nucléaire au Japon illustrent parfaitement l’état de ce monde incapable, malgré toutes les technologies disponibles et les sécurités exigées, de faire face à la puissance de la Nature, cette même Nature qu’il se glorifie pourtant de savoir maîtriser. Nous fabriquons des OGM, nous travaillons à la fusion nucléaire, nous étudions l’ADN et produisons des coeurs artificiels, et nous marcherons bientôt sur Mars, c’est certain ; mais nous sommes toujours incapables de donner à manger à tous les êtres humains qui peuplent cette planète.

Bien sûr nous ne sommes pas en mesure de contrôler le climat, et aucune civilisation ne peut empêcher les catastrophes naturelles, nous rétorquera-t-on. Mais dans ce cas, ne peut-on, ne doit-on pas faire oeuvre d’humilité, et éviter que ne soient rendues possibles les terribles conséquences de ces catastrophes ?

Car si nous ne sommes pas encore capables d’éviter les catastrophes naturelles, nous sommes bien capables de les empirer, et il serait bon de se demander quelle force nous pousse à nous croire supérieurs aux forces qui nous dépassent en définitive. Et surtout comment nous rendons nous-mêmes possibles les conséquences de ces catastrophes, en construisant près des côtes, en utilisant une énergie que nous maîtrisons mal, en préférant cacher la réalité des dégâts plutôt que de les assumer. Comment accepter de prendre le risque d’une catastrophe nucléaire sans savoir comment s’en protéger ? Un territoire comme le Japon, soumis à une activité sismique continuelle, doit-il se résoudre à continuer d’utiliser cette énergie, alors même qu’en cas de catastrophe c’est le Japon tout entier, et même au-delà la planète elle-même, qui se trouvent menacés ?

Aujourd’hui il faut se rendre à l’évidence, jouer à l’apprenti sorcier est une erreur qui peut être lourde de conséquences : au delà des inévitables victimes liées au Tsunami, le bilan de cette catastrophe pourrait bien se voir démultiplié par l’effet de notre propre prétention, celle de croire que nous pouvons maîtriser nos propres réalisations. Le bilan humain aurait-il été le même sans les constructions solides de Tokyo, ou sans la relative fragilité d’une centrale nucléaire ? Et en Haïti, le bilan aurait-il été si lourd si des précautions avaient été prises il y a déjà bien longtemps, alors qu’on savait déjà les risques que cette partie du monde comportait ?

Non, cela va plus loin que la simple « fatalité ». C’est le fonctionnement d’un système tout entier qui se trouve remis en cause par notre inconscience collective, comme dans la légende pourtant évocatrice et prédictive du mythe de l’Atlantide : en se croyant supérieur à la nature, en se proclamant démiurge omnipotent, l’Homme a abandonné depuis trop longtemps l’humilité à laquelle aurait dû le contraindre l’Histoire des civilisations passées. Et tout cela au nom de quoi ?

Au nom de la rentabilité à tout prix, de l’individualisme forcené, du « veau d’or » que nous adorons depuis trop longtemps et qui nous pousse à vendre des médicaments dangereux, à utiliser une énergie qui nous dépasse, à concevoir un monde rentable avant d’être humaniste, ou juste viable. Nous sommes actuellement parvenus à un point de civilisation où tout est rendu possible : le meilleur comme le pire. Nous avons le choix entre continuer à nous autodétruire, ou bien de conserver ce qui est bon , et de retirer ce qui ne l’est pas . Ce choix doit être conscient et universel, et nous l’avons encore. Faut-il donc continuer à utiliser l’énergie nucléaire partout, et surtout faut-il aller plus loin, vers cette « fusion » dont on ne connaît même pas la puissance ? Faut-il continuer à produire des OGM dont les conséquences sont indéchiffrables ? Faut-il encore considérer le pétrole comme une énergie « positive » ? Et cela même si c’est rentable ? Il nous faut cesser de croire que nous sommes arrivés au faîte de la civilisation, car désormais la puissance technologique à laquelle nous sommes parvenus ne s’accompagne pas de sa maîtrise, et nous sommes capables de détruire nous-mêmes l’espèce humaine, ce qui est bien plus grave que de conduire à la simple décadence d’une civilisation.

Nous sommes arrivés aujourd’hui à un point de civilisation auquel il faut s’arrêter et réfléchir, afin de prendre en compte la réalité, à savoir que le monde tel qu’il fonctionne n’est ni abouti, ni immuable. Peut-être faut-il aujourd’hui cesser de croire que le capitalisme et la démocratie se développent conjointement, et regarder enfin le monde non pas seulement tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être. Et pour ce faire, il faudra bien un jour imaginer se séparer du capitalisme, ce qui nécessite de se détacher des croyances qu’une propagande bien menée a établi pour nous empêcher de constater nos faiblesses. Pour revenir à la démocratie, la vraie, celle qui ne se laisse pas déborder par la corruption, la vénalité ou la recherche du pouvoir.

Et si le choc des civilisations est le seul moyen « capitaliste » de parvenir à rétablir l’illusion du progrès, c’est pour mieux cacher la chute qui suit. En réalité seule l’union des civilisations nous permettra de rétablir la démocratie. C’est à nous de nous prendre en main, car demain nous n’aurons peut-être plus la possibilité de revenir sur nos erreurs. Nous qui croyons, comme nos ainés avant nous, que le monde ne peut plus être modifié, qu’il ne peut plus être autrement qu’il est, un tel événement devrait nous rendre la raison : le monde a déjà basculé de nombreuses fois avant nous, et nous avons du à de nombreuses reprises recommencer tout de zéro, ou presque. Sommes-nous donc obligés de recommencer toujours les mêmes erreurs ?

Engageons-nous pour que la décadence de notre civilisation ne se transforme pas en destruction, et arrêtons-nous un moment pour réfléchir aux possibilités qui nous sont pourtant offertes, ensemble, pour nous-mêmes mais aussi pour les autres, ceux qui nous suivront sur cette Terre. Les solutions existent : à nous de les rendre réelles.

Caleb Irri

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Source : les pensées doubles de Caleb

26 réponses à “Entre décadence et destruction, notre civilisation va devoir choisir

  1. j’ai exactement la même analyse et la m^me vision de la situation actuelle – j’ai quand m^me la faiblesse de croire que ce qui arrive au Japon va faire bouger LEGEREMENT ls choses car plus jamais, nos dirigeants ne pourront se replier, se réfugier derrière le NIMBY! C’est fini ce temps et il n’y a plus de sanctuaire sur cette planète pour tout calife qui se croirait à l’abri, même le Capitalisme va devoir se rendre compte de la précarité de son Pouvoir…..et peut-être que ça prolongera de quelques temps un déclin irréversible puisqu’un jour notre Soleil s’éteindra

    • Pierre Veya, rédacteur en chef du journal suisse Le Temps a écrit :

       » La catastrophe nucléaire qui se déroule sous nos yeux au Japon, dont on ignore encore les conséquences réelles, est suffisamment grave pour que l’on procède à une pause dans la relance de la filière. Car cette fois, bien plus que l’incompétence humaine, il s’agit de réexaminer la vulnérabilité des installations atomiques.

      S’il est encore trop tôt pour renoncer définitivement au déploiement de cette forme d’énergie, la Suisse et l’Allemagne sont sages de décréter un nouveau moratoire politique et technique. Pendant trop longtemps, on n’a pas voulu croire les opposants à l’atome, qui insistaient sur les risques non conventionnels qui enrayent des systèmes complexes et provoquent une série de dysfonctionnements peu à peu ingérables. Les matériaux fissibles forment des poisons qui, une fois relâchés dans les écosystèmes, polluent et tuent pour un temps si long qu’il est moralement discutable d’en autoriser le risque.

      L’examen de la catastrophe permettra de définir de nouveaux scenarii extrêmes que l’on avait écartés, les jugeant statistiquement très improbables. Or l’imprévu s’est produit. C’est le propre des catastrophes. Même si les retombées radioactives devaient rester limitées, le spectacle des halles des réacteurs explosant sous la pression marquera l’histoire de l’atome civil autant que celui des pompiers ukrainiens et russes sacrifiant leur vie pour étouffer le feu du réacteur 4 de Tchernobyl.

      Il y aura un avant et un après.

      La maîtrise du nucléaire civil a progressé, avec les centrales de génération III, mais l’idée qu’il existe toujours des parades techniques, des redondances sans faille, est morte au Japon. Les enjeux sont considérables, en particulier pour les prochains clients de centrales nucléaires: la Chine, l’Inde, la Turquie, l’Italie ou le Moyen-Orient. Ils sont presque tous exposés aux secousses telluriques de fortes amplitudes. La sous-enchère pour leur vendre des réacteurs à tout prix a (peut-être) pris fin à Fukushima. Jusqu’ici, la relance de l’atome semblait la panacée pour répondre à leur demande d’énergie et réduire les émissions de CO2. La promesse était vaine et aventureuse. Le nucléaire civil est une belle invention mais, par nature, exige des précautions exceptionnelles qui en limitent l’expansion. « 

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