Les tueurs secrets


par Pratap Chatterjee pour TomDispatch.com

Les assassinats en Afghanistan et la Task Force 373

Une unité de la Task Force 373 à la poursuite des insurgés dans la province de Helmand.

« Find, fix, fin and follow up » (« Rechercher, fixer, éliminer et poursuivre ») est le terme utilisé par le Pentagone pour décrire la mission des unités secrètes en Afghanistan, qui ont reçu un mandat pour poursuivre les membres présumés des Taliban ou d’Al-Qaïda partout où ils peuvent être trouvés. Certains appellent ces opérations « manhunting » (chasse à l’homme) et les unités qui y sont affectées, les équipes de « capture/kill » (« capture/élimination »).

Quelle que soit la terminologie choisie, les détails des dizaines de leurs opérations spécifiques – et comment elles sont souvent mal erronées – ont été révélés pour la première fois dans la masse de documents secrets militaires et du renseignement états-uniens publiés par le site WikiLeaks, en juillet soulevant une tempête de nouvelles médiatiques et de protestations officielles. Représentant une forme de guerre clandestine états-unienne qui est en hausse, ces équipes font régulièrement plus d’ennemis que d’amis et sapent toute la bonne volonté créée par les projets de reconstruction états-uniens.

Lorsque l’équipe de Danny Hall et Gordon Phillips, les administrateurs civils et militaires de la reconstruction provinciale états-unienne dans la province de Nangarhar, Afghanistan, est arrivée pour une réunion avec Gul Agha Sherzai, le gouverneur local, à la mi-juin 2007, ils savaient qu’ils avaient beaucoup d’excuses à faire. Philips avait expliquer pourquoi une équipe clandestine états-unienne de « capture/élimination » nommée Task Force 373, traquait Qari Ur-Rahman, supposé être un commandant Taliban compte tenu du nom de code « Carbone », avait appelé un bombardier AC-130 Spectre et tué par inadvertance sept policiers afghans au milieu de la nuit.

L’incident a démontré avec vivacité le choc inhérent entre deux doctrines dans la guerre états-unienne en Afghanistan – la contre-insurrection (protection du peuple) et le contre-terrorisme (élimination des terroristes). Bien que l’administration Obama s’est exprimée sur l’ancienne méthode, ce dernier a été et continue d’être la force motrice dans sa guerre en Afghanistan.

Pour Hall, un agent des Affaires Etrangères qui était a moins de deux mois d’une affectation cossue à Londres, travailler avec les militaires était plus difficile qu’il ne l’espérait. Dans un article pour le Foreign Service Journal publié quelques mois avant la réunion, il a écrit, « J’étais comme si je ne savais jamais vraiment ce qui se passait, où j’étais supposé être, ce qui était mon rôle, ou même si j’en avais un. En particulier, je ne parlais aucune des langues que j’avais besoin : pachto ou militaire. »

Cela n’avait pas été moins bizarre pour Phillips. Tout juste un mois plus tôt, il avait personnellement remis des paiements « solatia » – paiements de condoléances pour le décès de civils causés à tort par les forces américaines – en présence du gouverneur Sherzai, tout en condamnant l’acte d’un kamikaze Taliban qui avait tué 19 civils, compensation pour l’incident en question. « Nous sommes venus ici comme vos invités », dit-il aux proches des victimes,« invités à aider à la reconstruction et l’amélioration de la sécurité et la gouvernance de Nangarhar, afin de vous apporter une meilleure vie et un avenir meilleur pour vous et vos enfants. Aujourd’hui, en regardant les victimes et leurs familles, je me joins à vous pour le deuil de vos proches. »

Hall et Phillips étaient en charge d’un portefeuille de 33 projets actifs de reconstruction états-unienne pour plus de 11 millions de dollars dans Nangarhar, concentré sur la construction des routes, les fournitures scolaires et un programme agricole visant à l’exportation de fruits et légumes de la province.

Mais la mission de leur « équipe de reconstruction provinciale » (composé d’experts civils, officiels du département d’Etat et des soldats) semble être en conflit direct avec ceux de l’équipe de « capture/élimination » des forces d’opérations spéciales (Navy Seals, les Rangers et bérets verts, ensemble avec des opérateurs de la Division des Activités Spéciales de la CIA) dont le mandat était de poursuivre les Afghans supposés être des terroristes ainsi que les dirigeants insurgés. Dans son sillage, cette équipe ne laissait qu’une trainée de corps de civils morts et de récriminations.

Des détails de certaines des missions de la Task Force 373 sont devenus publics à la suite des 76000 rapports d’incidents divulgués au public par WikiLeaks, un site Web de dénonciation, ainsi que des analyses de ces documents dans Der Spiegel, The Guardian et The New York Times. Une comptabilité complète des ravages de la Task Force pourra être disponible très prochainement, toutefois, l’administration Obama refuse de commenter la vague d’assassinats en cours en Afghanistan et au Pakistan. Un bref historique de l’équipe peut néanmoins être retirée par une lecture attentive des documents de WikiLeaks ainsi que les rapports connexes de l’Afghanistan et les rapports des forces spéciales non classifiés.

Les données de WikiLeaks suggèrent que 2058 personnes sur une liste secrète de cibles appelée le « Joint Prioritized Effects List » (JPEL) ont été considérées comme des cibles des opérations de « capture/élimination » en Afghanistan. Un total de 757 prisonniers – probablement sur cette liste – étaient gardés à la prison de Bagram (Bagram Theater Internment Facility (BTIF)), une prison états-unienne de la base aérienne de Bagram, à la fin du mois de décembre 2009.

Opérations capture/élimination

L’idée des équipes « mixtes » de différentes branches militaires travaillant en collaboration avec la CIA a tout d’abord été conçue en 1980 après le fiasco de l’opération Eagle Claw, lorsque le personnel de l’Air Force, l’US Army et la Navy était engagé dans une tentative désastreusement bâclée de sauvetage des otages états-uniens en Iran avec l’aide de la CIA. Huit soldats ont été tués lors du crash d’un hélicoptère qui s’est écrasé dans un avion C-130 dans le désert iranien. Par la suite, une commission de haut niveau, six membres dirigés par l’amiral James L. Holloway, a recommandé la création d’un commandement des forces spéciales mixtes pour s’assurer que les différentes branches de l’armée et de la CIA feraient beaucoup plus d’avancées dans la coordination planifiée dans le futur.

Ce processus a été considérablement accéléré après le 11 septembre 2001. Durant ce mois, une équipe de la CIA appelée Jawbreaker en charge de l’Afghanistan devait planifier une invasion du pays dirigée par les Etats-Unis. Peu après, une équipe des bérets verts baptisée Task Force Dagger (poignard) devait poursuivre la même mission. Malgré une rivalité initiale entre les commandants des deux groupes, ils se sont finalement alliés.

La première équipe « mixte » clandestine impliquant la CIA et les diverses forces militaires d’opérations spéciales travaillant ensemble en Afghanistan a été la Task Force 5, chargée de la mission de capture ou d’élimination des « objectifs de haute valeur » comme Oussama ben Laden, les hauts dirigeants d’Al-Qaïda et le mollah Mohammed Omar, le chef des Taliban. Une organisation semblable basée en Irak a été appelée la Task Force 20. Les deux ont finalement été combinées dans la Task Force 121 du général John Abizaid, le chef du Commandement Central américain.

Le lieutenant-colonel Anthony Shaffer s'expliquant sur les documents de WikiLeaks à l'antenne du Alex Jones Show.

Dans un nouveau livre qui doit paraître ce mois-ci, « Operation Darkheart », le lieutenant-colonel Anthony Shaffer dévoile le travail de la Task Force 121 en 2003, lorsqu’il servait dans une partie d’une équipe surnommée Jedi Knights. Travaillant sous le pseudonyme du Major Christopher Stryker, il dirigeait des opérations pour la Defense Intelligence Agency (l’équivalent militaire de la CIA) de la base aérienne de Bagram.

Lors d’une nuit d’octobre, Shaffer a été déployée dans un village près de Asadabad dans la province de Kunar par un hélicoptère MH-47 Chinook pour diriger une équipe « mixte », incluant des Rangers (une division de forces spéciales) et les troupes de la 10ième Division de Montagne. Ils étaient sur une mission pour capturer un lieutenant de Gulbuddin Hekmatyar, un seigneur de guerre notoire allié aux Taliban, basée sur les informations fournies par la CIA.

Ce n’était pas facile. « Ils réussirent en frappant au cœur des Taliban et leurs refuges au-delà de la frontière au Pakistan. Pendant un instant, Shaffer nous a vus gagner la guerre », d’après ce que l’on peut lire dans la promotion pour le livre. « Puis tout est devenu compliqué pour les militaires. Les politiques qui dépendaient de hauts fonctionnaires ont désespérément commis des erreurs. Shaffer et son équipe ont été forcés de s’asseoir et de regarder l’insurrection grandir – juste à la frontière du Pakistan. »

Presque un quart de siècle après l’opération Eagle Claw, Shaffer, qui faisait partie de l’équipe Able Danger qui avait poursuivi Al-Qaïda dans les années 1990, décrit avec le goût amer des guerres entre les équipes de la CIA et des forces spéciales comment, dans le monde invisible, doivent être exécutés les assassinats secrets en Afghanistan et au Pakistan.

Task Force 373

C’est en 2007 que pour la première fois la Task Force 373 est mentionnée dans les documents de Wikileaks. Nous ne savions pas si ce numéro signifiait quelque chose, mais par coïncidence ou non, dans le chapitre 373 du Code 10 des États-Unis, l’acte du Congrès énonce ce que l’armée américaine est légalement autorisée à faire, autorise le secrétaire de la Défense d’habiliter tout « employé civil » au sein de l’armée « pour exécuter les mandats et procéder à des arrestations sans mandat » en matière pénale. C’est en effet la base « 373 » qui reste ou non une question classée – comme c’était d’ailleurs, jusqu’à ce que la publication des documents de WikiLeaks s’est produite, l’existence même de la Task Force.

Les analystes disent que la Task Force 373 complète la Task Force 121 en utilisant les « forces blanches » comme les Rangers et les bérets verts, par opposition à la plus secrète Delta Force. La Task Force 373 opère généralement autour de trois bases militaires – à Kaboul, la capitale afghane; à Kandahar, deuxième ville du pays; et la ville de Khost près des zones tribales pakistanaises. Il est possible que certaines de ses activités proviennent également de Camp Marmal, une base allemande dans la ville de Mazar-e-Charif au nord. Des sources familiarisés avec le programme disent que la Task Force a ses propres hélicoptères et avions, notamment un AC-130 Spectre, dédié uniquement à leur usage.

le gunship AC-130 Sprectre construit par Lockheed Martin's

Son commandant semble avoir été le général de brigade Raymond Palumbo, basé au Commandement des Opérations Spéciales du Fort Bragg, en Caroline du Nord. Toutefois, Palumbo a quitté le Fort Bragg à la mi-juillet, peu de temps après que le général Stanley McChrystal a été relevé de son commandement en chef de la guerre afghane par le président Obama. Le nom du nouveau commandant de la Task Force n’est pas connu.

Dans plus de 100 rapports d’incidents dans les fichiers WikiLeaks, la Task Force 373 est décrite comme conduisant de nombreux efforts de « capture/élimination », notamment dans les provinces de Khost, Paktika et Nangarhar, tous aux abords frontaliers de la province des Régions tribales fédéralement administrées (FATA) du nord du Pakistan. Certains auraient entraîné une capture réussie, tandis que d’autres a conduit à la mort de policiers locaux ou même de petits enfants, provoquant les villageois en colère à protester et attaquer les forces militaires menées par les Etats-Unis.

En avril 2007, David Adams, commandant de l’équipe de reconstruction provinciale de Khost, a été appelé à une rencontre avec les anciens du village de Gurbuz dans la province de Khost, qui étaient en colère sur les opérations de la Task Force 373 dans leur communauté. Le rapport d’incident sur WikiLeaks n’indique pas simplement ce que la Task Force 373 a fait pour bouleverser les anciens de Gurbuz, mais le gouverneur de Khost, Jamal Arsala, avait été publiquement se plaindre des opérations des forces spéciales et des décès de civils dans sa province depuis décembre 2006, lorsque cinq civils ont été tués dans un raid sur le village de Darnami.

« C’est notre terre » disait-il alors. « J’ai demandé avec une grande insistance : Asseyons-nous ensemble, nous connaissons nos frères afghans, nous connaissons mieux notre culture. Avec ces opérations, nous ne devrions pas créer plus d’ennemis. Nous sommes en mesure de réduire les erreurs ».

Comme Adams le rappelera plus tard dans un op-ed (op-ed en anglais se rapporte à la page d’éditoriaux écrits par des journalistes du journal plutôt que l’équipe d’édition, ndt) qu’il a co-écrit pour le Wall Street Journal, « le nombre croissant des raids sur les habitations tribales afghanes a aliéné de nombreux anciens de Khost ».

Le 12 juin 2007, Danny Hall et Gordon Philips, travaillant dans la province de Nangarhar juste au nord-est de Khost, ont été appelés à cette réunion avec le gouverneur Sherzai pour expliquer comment la Task Force 373 avait tué sept agents de la police afghane locale. Comme Jamal, Sherzai a fait le point à Hall et Philips qu’« il encourage vivement à une meilleure coordination… et il a encore souligné qu’il ne souhaitait pas voir ce qui s’était produit se reproduire à nouveau ».

Moins d’une semaine plus tard, une unité de la Task Force 373 a tiré cinq roquettes sur un village de Nangar Khel dans la province de Paktika pour le sud du Khost, dans une tentative pour tuer Abu Laith al-Libi, un membre supposé d’Al-Qaïda de Libye. Lorsque les forces américaines rendent au village, ils ont trouvé que la Task Force 373 avait détruit une madrassa (ou école islamique), tuant six enfants et blessant grièvement un septième qui, malgré les efforts déployés par une équipe médicale américaine, allait bientôt mourir. (À la fin janvier 2008, il a été rapporté que al-Libi a été tué par un missile Hellfire lors d’une attaque de drone Predator dans un village proche de Mir Ali dans le Nord-Waziristan au Pakistan.)

Le gouverneur de Paktika, Akram Khapalwak, a rencontré l’armée américaine au lendemain du raid. Contrairement à ses homologues de Khost et Nangarhar, Khapalwak a accepté de prendre en charge les « sujets de conversation » relatifs à la Task Force 373 pour expliquer l’incident aux médias. Selon le rapport d’incident de WikiLeaks, le gouverneur a « fait écho de la tragédie des enfants tués qui aurait pu être empêchée, mais reste inquiet pour les personnes exposées à la présence des insurgés dans la zone ».

Cependant, aucun sujet de conversation militaire, et ce, peu importe les intervenants, ne pourrait arrêter la tuerie des civils aussi longtemps que les raids de la Task Force 373 continueront.

Le 4 octobre 2007, ses membres ont réclamé une frappe aérienne – des bombes Paveway de 500 livres – sur une maison dans le village de Laswanday, à 6 miles seulement de Nangar Khel dans la province de Paktika (où sept enfants avaient déjà été tués). Cette fois, quatre hommes, une femme, une fille – tous des civils – ainsi qu’un âne, un chien et plusieurs poulets ont être abattus. Une douzaine de soldats états-uniens furent blessés, mais les soldats ont rapporté que pas un « ennemi » n’était détenu ou tué.

L’histoire afghane manquante

Tous les raids n’ont pas entraîné des pertes civiles. Les rapports d’incident militaires états-uniens publiés par WikiLeaks suggèrent que la Task Force 373 avait eu de meilleures chances dans la capture des « objectifs » vivants et éviter des pertes civiles, le 14 décembre 2007. Le 503ième Régiment d’Infanterie (Airborne) a demandé à ce jour de soutenir la Task Force 373, dans la province de Paktika, dans la traque de Bitonai et Nadr, deux dirigeants supposés appartenir à Al-Qaïda répertoriés sur le JPEL. L’opération a eu lieu juste à l’extérieur de la ville de Orgun, près du poste d’opérations avancé états-unien Harriman (FOB). Situé à 7000 pieds au-dessus du niveau de la mer et entouré de montagnes, il héberge environ 300 soldats ainsi qu’un petite annexe de la CIA et est souvent visité par de bruyants hélicoptères militaires comme par les troupeaux de chameaux dormant qui appartiennent à des Pachtouns locaux.

« Find, fix, fin and follow up »

Une équipe d’assaut aéroportée, nom de code « Operation Spartan » est descendue dans les environs où Bitonai et Nadr étaient supposés y vivre, mais n’ont pas réussi à les trouver. Quand un informateur afghan local a dit aux soldats des forces spéciales que les suspects étaient à un endroit à environ deux kilomètres, la Task Force 373 a saisi les hommes ainsi que 33 autres qui ont été arrêtés et conduits au FOB Harriman pour y être interrogés et peut-être transférés à la prison de Bagram.

Mais lorsque la Task Force 373 était en train de rôder, que des civils étaient, semble-t-il, toujours en péril, et alors que les documents de WikiLeaks révèlent que les soldats états-uniens étaient disposés à le rapporter, le côté afghan de l’histoire a souvent été laissé dans un fossé. Par exemple, un lundi soir à la mi-novembre 2009, la Task Force 373 a effectué une opération de capture ou d’élimination d’une prétendue militante du nom de code « Ballentine » dans la province de Ghazni. Un rapport d’incident laconique a annoncé qu’une femme afghane et quatre « insurgés » avaient été tués. Le lendemain matin, la Task Force White Eagle, une unité polonaise sous le commandement de la 82e Division Aéroportée des Etats-Unies, a signalé que quelques 80 personnes se sont réunis pour protester contre les meurtres. La fenêtre d’un véhicule blindé a été endommagée par les villageois en colère, mais les documents ne nous offrent pas leur version de l’incident.

Dans une circonvolution ironique, un des derniers incidents de la Task Force 373 enregistrées dans les documents de WikiLeaks était presque une reprise de l’originale Operation Eagle Claw, désastre qui a conduit à la création des équipes de capture/élimination « communes ». Juste avant le lever du soleil sur le 26 octobre 2009, deux hélicoptères états-uniens, un UH-1 Huey et un AH-1 Cobra, sont entrés en collision près de la ville de Garmsir dans la province de Helmand au sud, tuant quatre marines.

Une des proches alliés de la Task Force 373 est une unité britannique, la Task Force 42, composée des forces spéciales (Special Air Service), des nageurs de combat des forces spéciales de la Royal Navy (Special Boat Service), et des commandos du Régiment de Reconnaissance Spécial (Special Reconnaissance Regiment) qui opèrent dans la province de Helmand et sont mentionnés dans plusieurs rapports d’incident de WikiLeaks.

Chasse à l’homme

La formule « capture/élimination » est un élément clé de la nouvelle « doctrine » militaire développée par le commandement de forces spéciales établi après l’échec de l’opération Eagle Claw. Sous la direction du général Bryan D. Brown, qui prit le commandement des forces spéciales en septembre 2003, la doctrine à été appelée F4, pour « find, fix, finish, and follow-up » (« Rechercher, fixer, éliminer et poursuivre ») – un euphémisme léger mais qui n’est pas difficile à comprendre le message sur la façon dont les supposés terroristes et les insurgés doivent être traités.

Sous le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans les années Bush, Brown a commencé à constituer des équipes de forces spéciales « communes » pour mener des missions F4 en dehors des zones de guerre.  Ceux-ci ont reçu le nom lénifiant d’« Éléments de liaison militaire ». Au moins un meurtre par une équipe au Paraguay (d’un voleur armé ciblé ou non par n’importe quelle liste) a été écrit par les journalistes du New York Times Scott Shane et Thom Shanker. L’équipe, dont la présence n’avait pas été portée à la connaissance de l’ambassadeur des Etats-Unis, a été ordonnée de quitter le pays.

« L’exigence numéro un est de défendre la patrie. Et donc parfois qui nécessite que vous trouvez et capturez ou tuez les cibles terroristes dans le monde entier qui essaient de faire du mal à cette nation », a raconté Brown à la Commission de l’Assemblée des forces armées en mars 2006. « Nos partenaires étrangers… sont prêts mais incapables qui veulent aider dans l’élaboration de leur propre capacité à défendre leurs frontières et à éliminer le terrorisme dans leur pays ou dans leurs régions ». En avril 2007, le président Bush a récompensé le plan de Brown en créant un bureau spécial de haut niveau au Pentagone pour un secrétaire adjoint de la Défense pour les opérations spéciales et conflits de faible intensité et capacités interdépendantes.

Michael G. Vickers, rendu célèbre par le livre et le film « La guerre selon Charlie Wilson » comme l’architecte de la chaîne d’approvisionnement des armes-et-argent clandestine pour les Moudjahidins dans la campagne afghane anti-soviétique de la CIA des années 1980, a été nominé pour pourvoir le poste. Sous sa direction, une nouvelle directive a été publiée en décembre 2008 à « développer des capacités d’extension états-uniennes portées dans les domaines refusés et incertains des environnements d’exploitation avec et par des forces étrangères indigènes ou en effectuant des opérations de faible visibilité ». De cette manière, le programme « capture/élimination » a été institutionnalisé à Washington.

« La guerre contre le terrorisme est fondamentalement une guerre indirecte… C’est une guerre de partenaires…, mais c’est aussi un peu de la guerre dans l’ombre, soit en raison de la sensibilité politique ou le problème de localiser les terroristes », a raconté Vickers au Washington Post à la fin de l’année 2007. « C’est pourquoi la CIA est tellement importante… et nos opérations des forces spéciales jouent un rôle étendu. »

Le départ de George W. Bush de la Maison Blanche n’était pas trempé par l’enthousiasme pour les opérations F4. Bien au contraire : même si la formule F4 a récemment été modifiée, dans un dialecte typiquement militaire,  et est devenue « find, fix, finish, exploit, and analyze » (« rechercher, fixer, éliminer, exploiter et analyser », ou F3EA, le président Obama a, aux dires de tous, développé des programmes de collecte de renseignement militaire et de « capture/élimination » globalement en tandem avec une escalade des opérations d’attaque de drone par la CIA.

« L’intensification (surge) ordonnée par Obama signifie une escalade importante de la violence des deux côtés de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan ainsi que l’intensification de la crise sociale et politique qui règne sur toute la région en conséquence de la guerre états-unienne. » Bill Van Auken

Il existe quelques partisans qui sont fervents de la doctrine « capture/élimination ». Le professeur de l’Université de Columbia Austin Long est un universitaire qui suit le déroulement du F3EA. Notant sa ressemblance avec le programme d’assassinat Phoenix, responsable des dizaines de milliers de morts pendant la guerre états-unienne au Vietnam (dont il défend), il a appelé à un rétrécissement de la présence militaire états-unienne en Afghanistan à 13 000 troupes de forces spéciales qui porterait exclusivement sur la lutte contre le terrorisme, en particulier les opérations d’assassinat. « Phoenix suggère qu’une coordination du renseignement et l’intégration du renseignement avec un bras d’action peuvent avoir un effet puissant sur les groupes armés même extrêmement large et compétent », qu’il et son co-auteur William Rosenau ont écrit dans une monographie du Rand Institute intitulée « le programme Phoenix et la contre-insurrection contemporaine » en juillet 2009.

D’autres ont une inclinaison plus agressive encore. Le lieutenant George Crawford, qui a pris sa retraite du statut de « stratège de plomb » du commandement des forces spéciales pour aller travailler pour Archimede Global, Inc., une firme de consultants de Washington, a suggéré que F3EA soit remplacé par un terme : « Manhunting ». Dans une monographie publiée par l’Université des opérations spéciales mixtes en septembre 2009, « Manhunting: Counter-Network Organization for Irregular Warfare » (« Chasse à l’homme : organisation de contre-réseau pour les guerres irrégulières », Crawford énonce « comment mieux aborder la responsabilité de concevoir la chasse à l’homme comme une capacité pour la sécurité nationale américaine ».

Tuer les mauvais gens

L’étrange évolution de ces concepts, la création d’unités globales de chasseur-tueur dont le but dans la vie est l’assassinat 24h/24 et 7j/7 et les civils de ces unités « conjointes des forces spéciales » tuent régulièrement dans leurs raids contre de prétendus « objectifs » indécis selon des experts même militaires.

Par exemple, Christopher Lamb, le directeur intérimaire de l’Institute for National Strategic Studies de la National Defense University et Martin Cinnamond, un ancien fonctionnaire des Nations-Unies en Afghanistan, ont écrit un article au printemps 2010 sur l’issue des « Joint Forces Quarterly » dans lequel ils disent : « il y a un engagement étendu… que l’approche indirecte de la contre-insurrection qui devrait avoir préséance sur les opérations d’élimination/capture. Toutefois, le contraire est survenue. »

D’autres types de militaires affirment que l’approche du chasseur-tueur est myope et contre-productif. « Ma prise de position sur la Task Force 373 et d’autres task forces, il a un but car il conserve le nombre d’ennemis inférieur. Mais il ne comprend pas la cause fondamentale du conflit, et pourquoi les gens supportent les Taliban », dit Matthew Hoh, un ancien Marine et du département d’Etat qui a démissionné du gouvernement en septembre dernier. Hoh, qui a souvent travaillé avec la Task Force 373 ainsi que d’autres programmes « capture/élimination » des forces spéciales en Afghanistan et en Irak, ajoute: « nous avons tué les mauvaises personnes, des Taliban de bas niveau qui nous combattent seulement parce que nous sommes dans leurs vallées. Si nous n’étions pas là, ils ne voudraient pas combattre les Etats-Unis ».

La Task Force 373 peut être un cauchemar pour les Afghans. Pour le reste d’entre nous – maintenant que WikiLeaks a actionné la chasse d’eau – la Task Force 373 devrait être considérée comme un symptôme des profonds désastres politiques. Après tout, il soulève une question fondamentale : Est-ce que ce pays deviendra vraiment connu comme un Manhunters Inc. mondial ?

Pratap Chatterjee est un journaliste indépendant, régulier de TomDispatch et rédacteur en chef à CorpWatch qui a beaucoup travaillé dans le Moyen-Orient et en Asie Centrale, comprennant neuf voyages en Afghanistan, Pakistan et en Irak. Il a écrit deux livres sur la guerre contre le terrorisme : Iraq, Inc. (Seven Stories Press, 2004) et Halliburton’s Army (Nation Books, 2009). Il recommande l’utilisation de DiaryDig pour mieux comprendre le journal de guerre afghan WikiLeaks. Vous trouverez un bon glossaire des sigles militaires en cliquant ici. Vous pouvez le contacter par courrier électronique à pchatterjee@igc.org.

Traduction : Saïd Ahmiri pour le MecanoBlog

Source : TomDispatch.com