Est-ce que le Mémo de Downing Street se reproduira pour l’Iran ?


par Annie Machon and Ray McGovern pour Consortiumnews.com

Une décennie après l’infâme « Mémo de Downing Street » et son renseignement « fixé » pour envahir l’Irak, la pression est à nouveau en train de faire le cas – quelles que soient les faits – d’une nouvelle guerre avec l’Iran. Est-ce que le MI-6 au Royaume-Uni et la CIA se retournent de nouveau ou tiennent ferme, demandent les ex-analystes du renseignement Annie Machon et Ray McGovern.

« Après l’Irak, sommes-nous dans une autre série de « falsification de preuves », cette fois sur l’Iran ? »

Les récentes interventions de Sir John Sawers, l’actuel directeur du MI-6 britannique (service de renseignement secret, l’homologue britannique de la CIA), nous laisse nous interroger sur Sawers et s’il se préparerait à « falsifier » les renseignements sur l’Iran, comme son prédécesseur, Sir John Scarlett, l’avait fait auparavant avec l’Irak* ?

Le rôle de Scarlett précédent la guerre d’Irak en créant des « dossiers douteux » gonflant la menace des non-existantes « armes de destruction massive » est relativement bien connue. Le 4 juillet, le signal d’alarme est de nouveau passé au rouge écarlate à Londres, lorsque Sawers informa un cercle restreint de hauts fonctionnaires britanniques que l’Iran n’est « plus qu’à deux années » de devenir une « puissance nucléaire ». Comment Sawers en est-il arrivé à cette échéance de « deux ans » ?

Depuis fin 2007, les 16 agences de renseignement américaines responsables d’évaluer l’état d’avancement du programme nucléaire iranien ont conclu à l’unanimité que l’Iran avait arrêté un possible programme d’armement nucléaire dès l’automne 2003 et que ce programme n’avait pas été réactivé à la mi-2007 ( NIE de novembre 2007). Ces jugements ont été revalidés chaque année depuis, et en dépit des fortes pressions graduellement croissantes de la part d’Israël – pour qui la seule conclusion possible serait la confirmation de la menace iranienne – et de ses partisans néoconservateurs.

Le rapport de 2007 de l’U.S. National Intelligence Estimate (NIE) déjouait les plans d’attaque de l’Iran en 2008, la dernière année de l’administration Bush-Cheney. Ce coup d’éclat a été relaté à travers les mémoires de George Bush, « Decision Points », dans lequel il qualifiait les documents du NIE de « déclarations étonnantes » : « Nous jugeons avec une grande confiance qu’à l’automne 2003, Téhéran a suspendu son programme d’armes nucléaires. »

Bush continue : « Mais après le NIE, comment pourrais-je expliquer une intervention armée pour détruire les installations nucléaires d’un pays dont la communauté du renseignement a dit qu’il n’avait pas de programme d’armes nucléaires actif ? » (Decision Points, p. 419)

Les mains liées sur le plan militaire, les opérations américaines secrètes fleurissaient, avec 400 millions de dollars alloués à cette même période pour une escalade majeure de la lutte obscure contre l’Iran, selon des sources militaires, du renseignement, et du Congrès cités par Seymour Hersh en 2008 (à lire également « On recycle la propagande de guerre utilisée contre l’Irak pour le programme nucléaire iranien. », entretien de Seymour Hersh avec Amy Goodman de Democracy Now !) .

Bien que clandestine, la guerre n’en est pas moins bien réelle pour l’Iran incluant des cyber-attaques, meurtres de scientifiques iraniens, et ce que les Israéliens nomment les « insolites » disparitions de hauts fonctionnaires, tel que celle du Major général des gardiens de la révolution (Pasdaran, ndlr) Hassan Moghaddam, père du programme des missiles iraniens.

Moghaddam fut tué dans une grande explosion le 12 novembre 2011, un correspondant à Jérusalem du très sérieux magazine Time, révélait qu’une « source du renseignement occidental » lui aurait déclaré que le Mossad était certainement derrière cette explosion. Mais plus menaçantes encore sont pour l’Iran les sanctions économiques sévères à venir, des sanctions ni plus ni moins assimilables à un acte de guerre.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et les néoconservateurs pro-israéliens aux États-Unis et d’ailleurs ont exercé de fortes pressions en faveur d’une attaque en Iran, saisissant au passage n’importe quel prétexte pouvant servir leur dessein. Le 18 juillet, Netanyahou plaida avec force, que l’Iran était derrière le tragique attentat perpétré contre des touristes israéliens en Bulgarie, et ce à l’encontre de la position des autorités bulgares et même de la Maison Blanche avertissant qu’il était bien trop tôt pour attribuer la responsabilité de ceux-ci à une quelconque partie.

Cette mise en accusation immédiate de l’Iran par Netanyahou laisse fortement suggèrer qu’il cherche des excuses pour placer la barre toujours plus haut. Avec en arrière-plan, déployés dans le Golfe Persique des navires de guerre états-uniens, britanniques et autres scrutant le moindre accident pouvant se produire afin d’intervenir, ceci sans aucun moyen infaillible de communiquer avec le commandemant des forces navales iraniennes – le moindre accident ou la moindre provocation serait maintenant génératrice d’une escalade plus probable que jamais.

23 juillet, un jour d’infamie

Curieusement, le discours de Sawers du 4 juillet est advenu à l’approche d’une date importante – le 10e anniversaire d’un triste jour pour le renseignement britannique et américain concernant l’Irak. Le 23 juillet 2002, lors d’une réunion au 10, Downing Street, Jean Dearlove alors à la tête du MI-6 informa le Premier ministre Tony Blair et d’autres hauts fonctionnaires de ses entretiens avec son homologue américain, le directeur de la CIA George Tenet, à Washington, trois jours auparavant.

Dans le compte rendu officiel de cette séance d’information (maintenant connu sous le nom de Mémo de Downing Street), qui a été divulgué au London Times et publié le 1er mai 2005, Dearlove expliquait que George Bush avait décidé d’attaquer l’Irak et que cette guerre devrait se « justifier par la conjonction du terrorisme et les armes de destruction massive. »

Alors secrétaire des Affaires étrangères, Jack Straw soulignait que l’affaire était « bien maigre », Dearlove alors, élucida la question d’un ton neutre, « Le renseignement et les faits sont fixés par les aléas de la politique. »

Rien ne laisse penser qu’en cet instant quiconque s’objecta à faire cas de la guerre et à s’opposer à la détermination de Tony Blair de se joindre à Bush dans le lancement d’une sorte de « guerre d’agression » pourtant condamnée par le Tribunal de Nuremberg et par la Charte des Nations Unies.

Conforté par l’acquiescement de ses espions en chef, le gouvernement Blair pu faire passer dans le corps politique de faux documents de renseignement, avec de désastreuses conséquences pour le monde.

Les citoyens britanniques étaient déjà gavés de faux renseignements depuis le « Septembrer Dossier » (2002), puis, six semaines seulement avant l’attaque sur l’Irak, le « Dossier Dodgy », basée en grande partie sur un doctorat de 12 ans conçus sur des thèses abattus à partir d’Internet (des synthèses de notes des services du renseignement qui n’étaient en réalité que la copie au mot-à-mot d’extraits d’une thèse de doctorat de 3e cycle, daté de 1991 d’un certain docteur Ibrahim al-Marashi reprise et actualisée, ndlr) – le tout présenté par des espions et hommes politique, une composante de bien mauvaise augure.

Ainsi a été inscrite la guerre. Tous ces mensonges, ont entraîné des centaines de milliers de morts, de mutilés et des millions d’Irakiens déplacés – pourtant personne n’a été tenu de rendre des comptes.

Sir Richard Dearlove, qui aurait pu empêcher cela s’il avait eu l’intégrité de parler, a été admis à la retraite avec tous les honneurs et est devenu le maître d’un collège de Cambridge. John Scarlett, qui en tant que président du Joint Intelligence Committee a approuvé les dossiers frauduleux, a été récompensé de son travail d’espionnage au MI-6 et reçu un titre de chevalier. George W. Bush a remis à George Tenet la médaille présidentielle de la Liberté – la plus haute distinction civile.

Avons-nous besoin de nouvelles preuves ? « Ainsi sont-ils tous, tous des hommes honorables » – souvenir de ceux présents au coté de Brutus dans la pièce historique de William Shakespeare, Jules César, mais sans un Marc Antoine pour provoquer et stimuler une réaction populaire appropriée.

C’est là que réside le problème : au lieu d’être tenus pour responsables, ces « hommes honorables » ont ainsi été mis à l’honneur. Leurs atterrissages en douceur offrent une leçon de choses malsaine pour les bureaucrates ambitieux prêts à jouer double jeu avec la vérité offrant leurs voiles aux vents dominants.

Mal acquis les honneurs récoltés ne seront pas dissuasifs et ne décourageront pas les chefs du renseignement actuels et futurs de tenter de suivre cet exemple et celui du renseignement plutôt que de remettre en cause avec fermeté la corruption de leurs dirigeants politiques. Dans ce milieu qu’apporterait l’intégrité par rapport aux honneurs. Sans compter que cela peut vous expulser du club.

Obsession du renseignement sur l’Iran

Sommes-nous dans une autre série de « falsification » – cette fois sur l’Iran ? Nous allons le savoir bientôt. Le Premier ministre israélien Netanyahou, citant l’attentat terroriste en Bulgarie, a déjà fourni ce qui équivaudrait à une variation de Dearlove d’il y’à 10 ans sur le thème de la guerre peut être « justifiée par la conjonction du terrorisme et les armes de destruction massive. »

Selon le Jerusalem Post du 17 juillet, Netanyahou a déclaré que tous les pays qui conçoivent l’Iran comme pays exportateur d’un terrorisme mondial doivent se joindre à Israël en « le spécifiant clairement », afin de souligner l’importance d’empêcher l’Iran d’obtenir une arme nucléaire.

Apparaissant sur CBS dimanche ainsi que sur Fox News, Netanyahou réitère ce thème. Blâmant l’attaque terroriste du 18 juillet en Bulgarie, en l’attribuant au Hezbollah soutenu par l’Iran, il a demandé aux téléspectateurs d’imaginer ce qui se passerait si le régime le plus dangereux du monde recevaient des armes les plus dangereuses du monde.

Cette histoire peut sembler familière. A-t-il fallu à peine 10 ans ?

Est-ce que l’actuel chef du MI-6 modelera sa conduite sur celle de ses prédécesseurs qui, il ya 10 ans, avaient « justifié » la guerre en Irak ? Fixera t-il la ligne du renseignement autour de la politique iranienne de la Grande Bretagne, des Etats-Unis et d’Israël ? Les parlementaires observateurs devraient exiger immédiatement une mission d’observation sur Sawers, avant que l’ancien bulldog britannique soit de nouveau entraîné comme un caniche dans une autre guerre inutile.

Annie Machon et Ray McGovern

Annie Machon est une ancienne officier du renseignement du service de sécurité MI-5 (l’homologue britannique du FBI), et Ray McGovern est un ancien officier des services secrets de l’U.S. Army et analyste de la CIA.

Note

* Les faits relatifs au décès de l’expert en armement accusant le gouvernement britannique d’avoir faussé le rapport sur les armes de destruction massive en Irak.

Article original : Will Downing St. Memo Recur on Iran ?

Traduction  E. de R. pour MecanoBlog

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