Un nouveau siècle d’eugénisme


Par Saïd Ahmiri pour Mecanoblog

Dans un contexte où les questions critiques de réduction de la population mondiale, de surpopulation mondiale dans les décades à venir, de la menace de la démographie mondiale par rapport aux ressources tant alimentaires qu’énergétiques, d’empreinte écologique de l’humanité et de surconsommation actuelle commencent à faire du bruit au sein d’une certaine communauté qui se prétend philanthropique alors que les politiques restent muettes sur le sujet, est-ce que l’eugénisme représente la ou une partie de la solution  » morale  » à trouver aux futurs problèmes démographiques ?

Une idéologie d’inégalités

L’eugénisme peut devenir une stratégie radicale de contrôle de la population tout comme maintenir un continent dans un état alarmant de grande famine. Dans son sens premier, l’eugénisme se définit par l’ensemble des disciplines, méthodes et techniques cherchant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine. De génération en génération, l’eugénisme sert à enrichir les capacités intellectuelles ainsi que les aptitudes physiques du corps humain afin de réduire les déficiences qui handicapent son progrès et d’amplifier ses compétences pour lui permettre de se dépasser. Une sélection d’attributs qui implique forcément une immorale nomenclature des ethnies et des lignages. Sur quels critères si tous les hommes naissent égaux ? Le caractère héréditaire est un sujet très délicat, très controversé et nettement plus important au sein des hautes classes sociales, le sang bleu ou la noblesse, que chez les individus moins aisés, les plus pauvres et « conçus comme naturellement inférieurs » d’après le britannique Francis Galton (1822-1911), le cousin de Charles Darwin et inventeur du terme eugénisme. « La préservation des qualités des familles de bonne lignée nécessite d’éviter le mélange des sangs qui ne peut conduire qu’à la disparition des caractères les plus hauts de la race humaine ». Wikipedia. Très loin des concepts de science-fiction du super-soldat ou de l’Homme parfait entièrement créé par génie génétique, l’eugénisme qui puise ses racines dans les profondeurs historiques de la Grèce antique se veut théoriquement d’être à la fois une idéologie pragmatique au service de l’aristocratie et un véritable dogme scientifique qui s’oppose autant aux valeurs morales de la religion que des humanistes. L’évolutionnisme, le malthusianisme – doctrine défavorable à l’accroisement démographique – et le racisme convergent tous vers l’eugénisme comme étant la solution miracle à la dégénérescence de l’espèce humaine.

Les politiques eugénistes du Japon de Showa au Pérou de Fujimori

De nombreux pays ont pratiqué l’eugénisme à travers différents programmes de stérilisations contraintes. Les premiers ont été le Japon et les Etats-Unis. Des 1907, des mesures impériales sous l’ère Showa pour combattre la lèpre même après la découverte de traitements de soin et des maladies génétiques ou mentales tels que l’hémophilie, l’albinisme, la schizophrénie, furent mises en place pour interner des malades dans des sanatoriums, stériliser des handicapés mentaux et des criminels ayant des prédispositions génétiques au crime. Des témoignages ont rapporté des cas d’avortements et d’infanticides. Aux Etats-Unis, après le Michigan en 1907 également ce sont au total 33 Etats qui ont adopté un programme officiel de stérilisations contraintes entre les années 1900 et 1970. Retardés mentaux, sourds, aveugles, alcooliques, personnes épileptiques ou ayant des malformations congénitales et les Amérindiens victimes du racisme d’Etat, près de 65 000 personnes ont été stérilisées par la castration (vasectomie) pour l’homme et la section ou ligature des trompes de Fallope pour la femme. Au Canada, 3000 stérilisations ont privé des femmes célibataires soupçonnées de prostitution, des jeunes, des métis et des individus issus des minorités d’engendrer une descendance entre 1928 et 1972. Dans certains hôpitaux psychiatriques, les handicapés mentaux subissaient des tests QI et devaient atteindre un certain potentiel pour ne pas subir la stérilisation sans l’accord de leur tuteur. Après l’Asie et l’Amérique du Nord, c’est au tour de l’Europe de se pencher politiquement sur les maladies héréditaires avec l’aide anglo-saxonne du Galton Laboratory de l’Université de Londres fondé en 1904 et d’une autre fondation philanthropique américaine, la fondation Rockefeller. La première fut la Suisse qui adopta des lois eugénistes en 1928, suivie par le Danemark. En 1933, d’innombrables scientifiques de la puissante Allemagne s’intéressent aux théories de l’eugénisme qui vont conduire à la quête de suprématie de la race aryenne. Puis c’est la Suède, la Norvège, la Finlande et l’Estonie qui suivent le pas. Quatre cent mille personnes ont été stérilisées en Allemagne. Rien que le programme Aktion T4 d’exécution assassina systématiquement plus de 100 000 handicapés mentaux et physiques pendant la période noire du nazisme. En Suède, environ 62 000 personnes sur une faible population de 6 millions ont été stérilisées de 1934 à l’abolition en 1976. 21 000 personnes avaient été stérilisées de force. L’URSS imposa la stérilisation forcée à des ouvrières déportées de Roumanie dans des camps de travail et fut une clause de la convention d’armistice après la Deuxième Guerre Mondiale. La Tchécoslovaquie stérilisa de force des Gitanes entre 1973 et 1990. En Inde, en Chine, Au Panama, au Royaume-Uni et en Australie où des enfants d’Aborigènes et d’indigènes du Détroit de Torres étaient enlevés de force à leurs parents par les différents gouvernements australiens de 1869 à 1969 avec pour but explicitement annoncé en 1930 d’accélérer le processus d’extinction naturelle des Aborigènes, des campagnes de stérilisations contraintes à des fins de contrôle démographique ou de diminution drastique des maladies voire de dégénérescence mentale ont été approuvées et votées par des gouvernements pour le bien du peuple et au nom de la pureté du sang. Les derniers événements majeurs de l’eugénisme se sont déroulés au Pérou où le président génocidaire Alberto Fujimori avait mis en place le 28 juillet 1995 un plan national de stérilisation forcée et raciale visant principalement l’ethnie amérindienne avec pour objectif de réduire le nombre de naissances dans les secteurs pauvres de la société péruvienne. Un plan de santé publique financé par l’ONG américaine USAID et le programme FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la Population). « En février 1996, l’OMS elle-même félicite alors Fujimori pour son plan de contrôle démographique. » Wikipedia. En juillet 2002, le Rapport final commandé par le ministère de la Santé dévoile qu’entre 1995 et 2000, 331 600 femmes ont été stérilisées, tandis que 25 590 hommes ont subi une vasectomie essentiellement des indigènes des zones déshéritées.

La marche vers une société progénique

La société serait-elle meilleure avec un contrôle des naissances ? Plus égalitaire entre les individus ? Plus morale ? Alors que l’état d’esprit ne cesse d’évoluer, quel homme peut-il juger ou a-t-il le droit de juger un autre homme si des chartes légitiment l’égalité entre les individus ? Les politiciens au service des citoyens ont-ils ce droit ? Face aux problèmes alimentaires, démographiques et énergétiques notamment annoncés par Jacques Attali pour le milieu du XXIième siècle en spéculant sur une population mondiale de 9 milliards d’individus, est-ce qu’il faut faire abstraction de l’éthique pour les résoudre ? Est-ce que la société du futur envisage-t-elle un permis de reproduire ? Il y a une infinité de questions que l’on pourrait poser sur cet épineux problème de démographie des temps à venir mais il est surtout grand temps de trouver des solutions convenables, juste et équitable pour tout le monde, afin que le problème ne devienne pas une nouvelle crise planétaire en prenant des proportions alarmantes, un cauchemar interethnique étroitement mêlé à un nouveau genre de lutte des classes. De nos jours, l’eugénisme se poursuit avec la détection des maladies héréditaires, malformations chromosomiques et tares génétiques ainsi que lors d’une fécondation in vitro (FIV), cette détection est réalisée par le biais d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). Dans le cadre de la thérapie génique, les embryons sont cultivées, analysées et filtrés ex vivo avant d’être implanter ou réinjecter dans le corps de la patiente. « L’idée d’eugénisme, en recul depuis la dernière guerre, est en train de revenir, on parle de progénisme, de « bon » eugénisme, d’empêcher la naissance d’enfants malades. » [1] Pour ne citer qu’un seul exemple : « On a les chromosomes sous les yeux, cela ne coûte rien de regarder si l’embryon qu’on veut implanter n’est pas atteint de trisomie 21. Et cela peut éviter de recourir, ensuite, à un éventuel avortement » explique le professeur Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg. [2] En France, les chiffres parlent d’eux-mêmes : jusqu’en 1996-1997, le nombre annuel de naissances vivantes d’enfants trisomiques 21 était d’environ 900, en 1999 ce nombre est d’environ 300. Le risque actuel est que cet altruisme médical (éviter la souffrance de toute une vie) ou euthanasie du fœtus soit légalisé pour des raisons à la fois d’éthique à cause de ce risque d’accroissement de la population mondiale et économique  » politiquement incorrect  » pour dissimuler la véritable justification de la prise en charge des handicapés mentaux et physiques par la sécurité sociale. Cela pourrait devenir une alternative nécessaire, diront-ils, pensent-ils déjà, pour faire face à ce risque démographique ou aux maladies émergentes. Au nom de l’amélioration de l’humanité revendiquée par et pour un Nouvel Ordre Mondial, « la maîtrise grandissante des techniques de procréation médicalement assistée, conjuguée aux avancées de la génétique, risque de conduire, en l’absence de limites, à une véritable stratégie de sélection de l’humanité par le tri des embryons. » [3] L’inventeur de la FIV, Edwards, déclare : « Nous devons améliorer l’espèce humaine. De nombreuses personnalités scientifiques y sont favorables. » Propagande nazie ou réelle volonté altruiste ?

Un avenir complexe

N’étant pas un sujet délicat à traiter et très loin d’être médiatisé malgré une présence de plus en plus importante au sein de la société, l’eugénisme se profile à l’horizon parmi les vecteurs d’approche du contrôle des naissances, parrainé ou non par l’ONU, pour la réduction de la population mondiale. Pour évoquer une pure spéculation apocalyptique et orwellienne, en cas de cataclysme planétaire tels qu’une guerre nucléaire, une pandémie incontrôlable ou un plausible déchainement de la nature aux circonstances dévastatrices tragiques comme le réveil du supervolcan Yellowstone, l’eugénisme accouplé à la génétique pourrait bel et bien devenir industriel de façon à apporter un type de main d’oeuvre pré-défini à l’état, à l’armée ou aux corporations usinières. « Peut-être est-ce la première fois dans l´histoire humaine qu’apparaît aussi nettement une convergence entre des perspectives techniques, argumentées médicalement, et un choix idéologique de société. Beaucoup, qui croient oeuvrer au « progrès » de l´homme, ne semblent pas être conscients de cette proximité. » Jacques Testart.

Notes
[1] : http://corentin.barbu.free.fr/bio/FIVetDPI.htm

[2] : http://www.genethique.org/revues/revues/2009/novembre/20091118.1.asp

[3] : http://www.globenet.org/transversales/generique/numeros/63/sc1.html

5 réponses à “Un nouveau siècle d’eugénisme

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  2. Merci pour votre article si instructif. Pouvez-vous me dire comment procéder pour l’ajouter à ma page Facebook ? Merci de me répondre.

    • Je vous remercie à mon tour pour l’attention que vous portez à Mecanoblog et à mon article. 😉

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      Cordialement

      Saïd Ahmiri alias Bao

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